DÉCÈS DE KOFI ANNAN
L’AFRIQUE PERD UN ILLUSTRE FILS, LE MONDE PERD UNE BOUSSOLE
Dans un monde où certains ont déclaré “la guerre à la paix” selon
l’écrivain Ronan Farrow, la mort de Kofi Annan, Prix Nobel et infatigable
faiseur de paix, même à 80 ans, nous a tous bouleversé et peut-être fragilisé
un peu plus.
L’humanité plongée dans le doute à cause des incertitudes qui
s’accumulent en particulier sur “l’Accord de Paris” et “l’Accord sur le
nucléaire iranien”, mais aussi à cause des reconfigurations géopolitiques violentes
(Syrie, Yémen, Sahel) avait encore besoin de Kofi Annan, de son expertise
incontestable, de sa sérénité imperturbable, de sa patience légendaire et de
son demi sourire rassurant mais interrogateur!
Kofi Annan, SG des Nations Unies assis sur le toit du monde, m’a personnellement
gratifié d’une affection sincère pendant la phase active de notre relation à
partir de 2000. Je n’oublierai jamais ses félicitations appuyées après l’Accord
de Cessez-le-Feu de Bouaké du 17 octobre 2002 obtenu par le Sénégal, sauvant la
Côte d’Ivoire de la partition et probablement d’une guerre fratricide de longue
durée.
Cet Accord, pour un homme de paix comme lui, Africain dans le
tréfonds de son âme, a été l’acte fondateur de notre relation.
Ensuite nous l’avons tous admiré pour la réforme du systéme des
Nations, qu’il a initiée avec courage et détermination. Cette bataille dont
pour l’Afrique le “Commandant en chef” était notre collégue et ami Nana
Akufo-ADDO (actuel Président du Ghana), a connu des moments épiques tant nous
croyions tenir le bon bout pour enfin “réparer l’injustice historique” faite à
l’Afrique de n’avoir aucun représentant parmi les Cinq membres permanents du
Conseil de Sécurité, et ce malgré son milliard d’habitants à l’époque et ses 50
et quelques pays membres des Nations Unies soit plus du quart des états membres.
L’Humanité se souviendra un jour, qu’un homme épris de paix, a
essayé de consolider et de sauver la paix mondiale en réformant une institution
fondée sur un statu-quo surrané des vainqueurs de la 2ème guerre mondiale. Refuser
un siège de membre permanent avec droit de véto à l’Afrique et maintenir le
statu quo de 1945 est une double injustice à corriger dans l’esprit et le style
Annan, c’est à dire par un consensus fort mais qui ne peut plus attendre.
Kofi Annan, pour moi, c’est aussi la guerre contre le Sida et les
grandes pandémies qui ont ravagé l’Afrique et le monde pendant ces dernières
décennies.
Koffi Annan, c’est le soutien aux initiatives endogènes des leaders africains
comme le NEPAD, mai surtout le soutien à son volet “bonne gouvernance”, c’est à
dire le respect des institutions et des constitutions, la limitation des
mandats, l’acceptation de l’alternance démocratique et le respect des droits
humains.
Koffi Annan, c’est la noble et farouche bataille pour la réalisation
de son initiative phare: le programme OMD (Objectifs du Millénaire pour le
développement) lancé en 2000 par l’adoption de la “Déclaration du Millénaire”.
Ces OMDs sont devenus depuis 2015, comme on le sait, les ODDs (Objectifs de
développement durable).
Koffi Annan, outre le fiasco moral et tragique de la communauté
internationale au Rwanda dont il a fait courageusement le bilan autocritique,
c’était la tragédie du Darfour qui l’avait aussi beaucoup affecté, tant les
polémiques sur l’appellation “génocide”, “nettoyage ethnique”, “crimes contre
l’humanité” de cette apocalypse africaine avaient abouti à une faible action de
protection et de défense de populations très
vulnérables. Les tristement célébres Jenjawids ont pu alors nettoyer et massacrer
à leur guise des groupes qu’ils ont “osé” appeller les “populations africaines”
et ceci en terre africaine du Soudan!
Kofi Annan, c’était aussi la bataille multiforme pour la réforme des
opérations de maintien de la paix des Nations Unies pour les rendre plus
efficaces, faciliter les déploiements rapides sur le terrain pour protéger les
populations et autoriser des “réglements d’engagement plus fermes”, on dirait
aujourd’hui “plus robustes”. En clair Kofi Annan s’est battu de toutes ses
forces pour la mise en oeuvre diligente du rapport du “Groupe de Travail”
présidé par un autre grand fonctionnaire international africain Lakhdar
Brahimi.
Ce combat de Kofi Annan doit être poursuivi et gagné pour que l’Afrique,
en particulier, arrête d’être le paradis des “peace-keepers” qui coûtent
excessivement chers et qui parfois s’installent durablement comme c’est le cas
de la MONUC et certaines opérations qui ont un début et qui semblent n’avoir
pas de fin.
Pour nous, il est urgent d’organiser le transfert de certaines
compétences “de la responsabilité de protéger” du Conseil de Sécurité vers les
organisations régionales comme l’Union africaine qui bénéficie des avantages de
la proximité et d’une meilleure connaissance du terrain et des réalités
socio-culturelles. Ce transfert devrait cependant s’accompagner du transfert
partiel des moyens dont seule dispose l’ONU, ce qui serait évidemment une autre
paire de manche car pouvant être perçu comme une menace sur la toute puissance
des cinq membres permanents et des grands contributeurs.
Kofi Annan, c’est le diplomate hors pair qui peut arbitrer sans
faire voler en éclats le Palais de verre, la mémorable bataille diplomatique
“États-Unis versus France” sur l’invasion de l’Irak. Cette période sombre de
l’histoire de l’humanité, précédée par la catastrophe du 11 septembre qui
marque l’avénement durable d’un néo-terrorisme mondial, a raffermi le
leadership planétaire de Kofi Annan et son courage devant la vérité historique et
devant les puissants de ce monde.
Kofi Annan, c’est enfin une fierté africaine et un “modèle” de
serviteur de l’humanité, humble, courtois, fin, raffiné et citoyen du monde qui
a piloté les affaires internationales du monde pendant deux mandats tenant
fermement le gouvernail du bateau de 193 pays qui ont reconnu son leadership et
son charisme hors norme.
Sans le chercher peut-être, Kofi Annan a symbolisé pour des millions
de jeunes cadres africains ce volet important du combat de Cheikh Anta Diop
pour la “Renaissance africaine”. Cheikh Anta disait en effet qu’il était urgent
d’arrêter l’entreprise de démoralisation des peuples africains et surtout de
nos jeunesses à qui on vend toujours un portrait négatif de leur continent, de
sa prestigieuse histoire et de son identité pourtant résiliente. Quand nos
jeunes cadres regardaient Kofi Annan assis sur le toit du monde et enfoncé dans
le siège du pilote avec dignité et leadership, ils ne pouvaient qu’être
inspirés et motivés.
Après 44 ans de bons et loyaux services aux Nations Unies, au lieu
d’opter pour un repos bien mérité, Kofi Annan, au contraire, a continué à
dédier sa vie au “bonheur de servir” en acceptant en 2007 d’être le Chair de
AGRA (Alliance for a Green Revolution in Africa) mais aussi un membre des
Elders (groupe de sages africains créé en 2007 par Mandela). La même année
2007, il lança la “Fondation Kofi Annan” pour promouvoir la Paix et la
sécurité, l’état de droit, le développement durable et les droits humains. Il
y’a encore quelques semaines, il était sur le terrain, au Zimbabwé pour
encourager la resolution pacifique des différends politiques.
Le Ghana contemporain nous a déjà donné deux prestigieux leaders de
stature mondiale : l’inoubliable leader Panafricaniste Kwamé Nkrumah et l’inoubliable
Diplomate et Homme de paix Koffi Annan. Il nous prépare un troisième avec le
remarquable envol et le leadership panafricain du Président Nana Akufo-Addo
devenu en si peu de temps une des boussoles majeures de l’Afrique
contemporaine.
Que Dieu bénisse l’âme de Kofi Annan et lui accorde les faveurs de
son paradis céleste pour services rendus à l’humanité! Qu’il bénisse le Ghana
et l’Afrique renaissante et unie!
Dr. Cheikh Tidiane Gadio
Député et ancien Ministre des Affaires étrangères (2000
– 2009)
Président de l’Institut Panafricain de Stratégies
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